Notes
sur la « technique » : longue histoire des « avatars »
de pharmacon.
Mon intervention
pendant la soutenance du 26 septembre 2016 portait sur ces points:
En choisissant la
question de technique chez Derrida, nous avions à la fois une forte intuition
concernant la chose essentielle de la philosophie (ontologie et technè au sens de poieien, poiesis, via Heidegger) et d'avoir choisi un sujet fort
marginal concernant la philosophie. A l'époque, tout le monde s'occuper
de Derrida, pour les raisons d'inter-culturalité, l'éthique et la politique...
Mais, dans votre thèse;
Vous n'avez pas assez
différencié les différentes époques de la technique; sauf peut-être Derrida,
tout le monde y va à une certaine périodisation. Vous écriviez dans votre thèse
que même chez Platon, il y a plusieurs sens d'usage d'écriture: Par exemple, il
parle d'une écriture qui serait "marquée dans notre âme", et qui
serait supérieur à celle, d'ordinaire, subordonnée et secondarisée comme l’
« hypo-mnème », par lui-même.
C'est Saint Paul aussi, dans ses épitres, qui parlait d'une autre Loi qui
serait inscrite dans notre âme, différemment de la Loi Juive.
Le problème soulevé
avec le concept de "pharmacon", comme vous avez bien relevé, ne
consisterait-il pas plutôt que nous restons la plupart du temps dans la
"lettre" (de l'écriture en générale, mais surtout de la métaphore).
Donc, derrière, la problématisation de pharmacon dans sa duplicité, comme
aide-mémoire, et comme poison, il devrait y avoir ce problème proprement
philosophique de ne pas pouvoir passer de doxa
à l'épistémè. Donc, dans les termes
moderne: finitude. Derrida, en assumant l'instant de la lettre ou de l'écriture,
assumait cette condition de finitude.
Et la dialectique
socratique, quelle était sinon une manière d'assumer ou de prendre au sérieux
l'instant de doxa, pour atteindre ensuite, si c'est possible, l'épistèmê...
Egalement, non pas un
Descartes qui resterait encore trop dépendent de l'Infini de Dieu, c'est Kant
qui assumait comme une tentation incontournable de la raison, la dialectique ou
l'illusion transcendantale, dû plutôt au mauvais usage de l'entendement (au
lieu de raison, pour lui, de l'ordre de l'Infini encore).
Et derrière ce double
constat concernant le statut de tout pharmacon (au delà de l'écriture au sens étroit;
là où tout -c'est-à-dire, tout ce qui est a comprendre et -donc- à
mé-comprendre) , il y a la réponse de Hegel aussi: Tout instant de dépassement
dialectique, une fois libéré de la téléologie ou entéléchie hégélien, nous renverrait au concept de Différance
derridien, via la « Différence et Répétition » de Deleuze, qui déclarait
que notre époque est du "Fini-illimité" (in « Qu’est-ce que la
philosophie ? » ; indéfiniment Fini, incurablement Fini)...
Il faillait montrer à
qui doit quoi la philosophie de Derrida, et lesquels... Donc, au
fond, le concept de "différance" derridien est inscrit à
cette question de finitude assumée (mais comment?). Qu'en est-il de ce
mouvement de différence ou de différenciation sans telos? Ce concept a l'air d'être celui le plus neutre, qui dit une
condition ontologique minimale.
Votre attitude un peu
indécise et "timide" (voir le pré-rapport), vient de cette neutralité
derridienne, qui, avant vous, m'a rendu difficile d'avancer des thèses
fortes: "la thèse des thèses", attitude thétique, etc.
Vous insistez
justement sur la "médiaté" (p.220). Donc, c'est la médiation qui
constituerait toute sorte d'arté-factualité... Le milieu dans lequel sévit la médiation,
c'est le "metaphoricos" (déplacement
derridien, dans le mouvement de différence, va plutôt dans le sens de "métonymie",
contribution très juste de Nami Başer).
Mais dans cette
neutralité, il y a quelque chose qui fait à juste titre alerter Bernard
Stiegler. ..
Si l'on ne distingue
pas (Aristote aussi distingue –quoique le plus souvent restant neutre-, c'est
la technique même de la philosophie occidentale) entre un bas et un bas dans l'échelle
de "valeur" (il y faut faire
une "ré-évaluation de valeur des valeur, comme Nietzsche prêchait), entre
les différents "types" de techniques, voire entre les différentes
politiques d'écriture, c'est difficile de porter un jugement de valeur et faire
une évaluation, une thèse.
Hegel, tout étant
sensible à la différence entre une écriture alphabétique qui est plutôt logocentrique,
phonologique et une écriture pictogramme ou hiéroglyphe, etc. donnait cette évaluation
(déconstruite par Derrida dans « De
la Grammatologie »)...
Il y avait des
mouvements spirituelles dans l’Islam, comme Hurifi (Mysticisme ou Esotérisme de
Lettre: Hurufiyya), comme il y a eu de Cabbale en Judaïsme. Donc, il faillait être
sensible à ces différences.
Certes, l'Occident a évolué
dans le sens de "âme", logos, raison, spontanéité, de certitude et
clarté, la science (« idéalités réitérable identiquement et
universellement » ; Husserl commenté longuement par Derrida dans la
Préface de « l’Origine de la
Géométrie », dans les débuts de sa « thèse », jamais vu le
jour : « Qu’est-ce que l’idéalité de l’objet littéraire ? »),
Mais l’Occident a aussi inventé, contre toute attente, ou comme un partage
disjonctif, la "littérature" au sens précis où Derrida donne a
ce mot et phénomène proprement Occidental.
Il faillait préciser
et montrer ce que Derrida entendais quand il parlait "début d'une époque
d'écriture", via ce qui s'est passé, et en en train de passer dans la
littérature moderne.
Le poison de
pharmacon est de mécomprendre et de prendre à la lettre (c’est et l’échec de métaphoricité,
et celui de la raison, de l'esprit) est aussi "bêtise" que
Derrida valorise dans sa lecture de Deleuze (« La Bête et le Souverain »). Bêtise n'a rien à faire
de bêtes, mais elle est proprement "humaine". "Bêtise
philosophique" serait autre chose que la bêtise des « machines »
ou de l'homme philo-technologue quotidien.
Il devrait y avoir des
différentes politiques: usage maléfique de l'écriture -et de la lecture, bien entendu- (étatique,
administrative, totalitaire, scientifique) et l'usage thérapeutique, salutaire,
performatif, s'auto-indemnisant,
autrement immune, heilig, etc. « Ecritures »,
tout court, ou l’écriture des textes sacrés étant de l’ordre exemplaire.
Sommes tout, c'est
fort comme thèse, et Stiegler semble, après Derrida, avoir raison ; me
semble-t-il.