29.09.2016

Longue Histoire des "avatars" de pharmacon


Notes sur la « technique » : longue histoire des « avatars » de pharmacon.

 
Mon intervention pendant la soutenance du 26 septembre 2016 portait sur ces points:

 

En choisissant la question de technique chez Derrida, nous avions à la fois une forte intuition concernant la chose essentielle de la philosophie (ontologie et technè au sens de poieien, poiesis, via Heidegger) et d'avoir choisi un sujet fort marginal concernant  la philosophie. A l'époque, tout le monde s'occuper de Derrida, pour les raisons d'inter-culturalité, l'éthique et la politique...

 


Mais, dans votre thèse;

Vous n'avez pas assez différencié les différentes époques de la technique; sauf peut-être Derrida, tout le monde y va à une certaine périodisation. Vous écriviez dans votre thèse que même chez Platon, il y a plusieurs sens d'usage d'écriture: Par exemple, il parle d'une écriture qui serait "marquée dans notre âme", et qui serait supérieur à celle, d'ordinaire, subordonnée et secondarisée comme l’  « hypo-mnème », par lui-même. C'est Saint Paul aussi, dans ses épitres, qui parlait d'une autre Loi qui serait inscrite dans notre âme, différemment de la Loi Juive.

 

Le problème soulevé avec le concept de "pharmacon", comme vous avez bien relevé, ne consisterait-il pas plutôt que nous restons la plupart du temps dans la "lettre" (de l'écriture en générale, mais surtout de la métaphore). Donc,  derrière, la problématisation de pharmacon dans sa duplicité, comme aide-mémoire, et comme poison, il devrait y avoir ce problème proprement philosophique de ne pas pouvoir passer de doxa à l'épistémè. Donc, dans les termes moderne: finitude. Derrida, en assumant l'instant de la lettre ou de l'écriture, assumait cette condition de  finitude.

 

Et la dialectique socratique, quelle était sinon une manière d'assumer ou de prendre au sérieux l'instant de doxa, pour atteindre ensuite, si c'est possible, l'épistèmê...

Egalement, non pas un Descartes qui resterait encore trop dépendent de l'Infini de Dieu, c'est Kant qui assumait comme une tentation incontournable de la raison, la dialectique ou l'illusion transcendantale, dû plutôt au mauvais usage de l'entendement (au lieu de raison, pour lui, de l'ordre de l'Infini encore).

 

Et derrière ce double constat concernant le statut de tout pharmacon (au delà de l'écriture au sens étroit; là où tout -c'est-à-dire, tout ce qui est a comprendre et -donc- à mé-comprendre) , il y a la réponse de Hegel aussi: Tout instant de dépassement dialectique, une fois libéré de la téléologie ou entéléchie hégélien, nous renverrait au concept de Différance derridien, via la « Différence et Répétition » de Deleuze, qui déclarait que notre époque est du "Fini-illimité" (in « Qu’est-ce que la philosophie ? » ; indéfiniment Fini, incurablement Fini)...

 

Il faillait montrer à qui doit quoi la philosophie de Derrida, et lesquels...  Donc, au fond, le concept de "différance" derridien est  inscrit à cette question de finitude assumée (mais comment?). Qu'en est-il de ce mouvement de différence ou de différenciation sans telos? Ce concept a l'air d'être celui le plus neutre, qui dit une condition ontologique minimale.

 

Votre attitude un peu indécise et "timide" (voir le pré-rapport), vient de cette neutralité derridienne, qui, avant vous, m'a rendu difficile d'avancer des thèses fortes: "la thèse des thèses", attitude thétique, etc.

 

Vous insistez justement sur la "médiaté" (p.220). Donc, c'est la médiation qui constituerait toute sorte d'arté-factualité... Le milieu dans lequel sévit la médiation, c'est le "metaphoricos" (déplacement derridien, dans le mouvement de différence, va plutôt dans le sens de "métonymie", contribution très juste de Nami Başer).

 

Mais dans cette neutralité, il y a quelque chose qui fait à juste titre alerter Bernard Stiegler. ..

 

Si l'on ne distingue pas (Aristote aussi distingue –quoique le plus souvent restant neutre-, c'est la technique même de la philosophie occidentale) entre un bas et un bas dans l'échelle de "valeur" (il  y faut faire une "ré-évaluation de valeur des valeur, comme Nietzsche prêchait), entre les différents "types" de techniques, voire entre les différentes politiques d'écriture, c'est difficile de porter un jugement de valeur et faire une évaluation, une thèse.

 

Hegel, tout étant sensible à la différence entre une écriture alphabétique qui est plutôt logocentrique, phonologique et une écriture pictogramme ou hiéroglyphe, etc. donnait cette évaluation (déconstruite par Derrida dans « De la Grammatologie »)...

 

Il y avait des mouvements spirituelles dans l’Islam, comme Hurifi (Mysticisme ou Esotérisme de Lettre: Hurufiyya), comme il y a eu de Cabbale en Judaïsme. Donc, il faillait être sensible à ces différences.

 

Certes, l'Occident a évolué dans le sens de "âme", logos, raison, spontanéité, de certitude et clarté, la science (« idéalités  réitérable identiquement et universellement » ; Husserl commenté longuement par Derrida dans la Préface de « l’Origine de la Géométrie », dans les débuts de sa « thèse », jamais vu le jour : « Qu’est-ce que l’idéalité de l’objet littéraire ? »), Mais l’Occident a aussi inventé, contre toute attente, ou comme un partage disjonctif,  la "littérature" au sens précis où Derrida donne a ce mot et phénomène proprement Occidental.

 

Il faillait préciser et montrer ce que Derrida entendais quand il parlait "début d'une époque d'écriture", via ce qui s'est passé, et en en train de passer dans la littérature moderne.

 

Le poison de pharmacon est de mécomprendre et de prendre à la lettre (c’est et l’échec de métaphoricité, et celui de la raison, de l'esprit) est aussi "bêtise" que Derrida valorise dans sa lecture de Deleuze (« La Bête et le Souverain »). Bêtise n'a rien  à faire de bêtes, mais elle est proprement "humaine". "Bêtise philosophique" serait autre chose que la bêtise des « machines » ou de l'homme philo-technologue quotidien.

 

Il devrait y avoir des différentes politiques: usage maléfique de l'écriture  -et de la lecture, bien entendu- (étatique, administrative, totalitaire, scientifique) et l'usage thérapeutique, salutaire, performatif,  s'auto-indemnisant, autrement immune, heilig, etc. « Ecritures », tout court, ou l’écriture des textes sacrés étant de l’ordre exemplaire.

 

Sommes tout, c'est fort comme thèse, et Stiegler semble, après Derrida, avoir raison ; me semble-t-il.

 

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