29.05.2012

Dans la nuit de cauchemar platonicien...

Une manuscrit d'Edgar Allen Poe retrouvée dans un grenier à Londres...
(Conan Doyle, 2012 -avec la courtoisie de)

"Hélas, non, Mademoiselle, nous affrontons là un adversaire autrement plus terrible que ces misérables littérateurs tireurs à la ligne et jaloux deleurs confrères ! Un adversaire métaphysique, oui, parfaitement, Madame.

C’était donc cela le cri, remarquai-je. Parfaitement, c’était le cri d’appel poussé par le démon dans le brouillard, comme le chant des Sirènes envoûtait l’atmosphère pure des îles hellènes.

Le cri était promesse de mots, le cri était tentation, le cri, conclut-il en déployant les harmoniques de sa voix grave, le cri était tombeau.

En proie à la plus mauvaise humeur qui fût, pestant sur l’impossibilité structurelleà finir son récit, contre la médiocrité du langage existant et surtout de la syntaxe, dont la pauvreté confinait selon lui à l’indigence et empêchait toute pensée d’exister.

j’entendis soudain un long cri déchirant.

C’est la matérialisation sonore de votre désespoir, dis-je à mon ami, suivez-moi.Revolver au point, il m’accompagna jusqu’à une encoignure, près d’une échoppe de barbier, où un spectacle terrifiant nous attendait : une goule blanche nous aspirait dans sa bouche ouverte comme un abîme. Ne tirez pas, me dit-il,
laissons-nous aspirer. N’oubliez pas que c’est une matérialisation de mon propre âme et qu’en tirant sur elle vous pourriez me tuer moi-même.

Par un boyau oblique qui descendait dans les profondeurs de la terre, nous atterrîmes en bas d’une cave où trônait une idole à six bras et où gémissaient des êtres enchaînés, principalement des adolescents, esclaves de la poésie éternelle,romanciers perdus dans la nuit permanente des mots.

Ça va ? lui demandai-je, tout en prenant son pouls, qui battait normalement. Il me regarda l’air implorant : Donnez-moi une feuille et un stylo, murmura-t-il, je ne veux pas laisser échapper cette idée… Il en est hors de question, mon vieux, répliquai-je. Ce dont vous avez besoin, c’est d’un bœuf bouilli à la menthe, d’un pudding et d’une bonne nuit de repos dans un lit britannique. Pitié, implorait-il.

Soudain, un rire sardonique éclata derrière moi et, m’étant retourné, je reconnus Rajka Poor, le colosse hindou, qui me toisait avec mépris.

Ah, ah, rugit-il, j’ai à présent un détective et un médecin dans ma collection d’auteurs. Quelle dégradation ! Je décidai de le laisser s’épancher avant de faire parler les armes.

Oui-da, affirma-t-il fièrement, j’ai créé ici, à Bloomstreet, un sanctuaire secret à Brahman, profitant de sa passion des mots, je l’ai fait tomber dans le guet-apens de Brahman.

Lorsque le brouillard se lève et qu’un auteur en panne d’inspiration passe par là, l’esprit de Brahman l’appelle et le fait tomber dans le sanctuaire.

Car de plus en plus de poètes se laissent attirer par ce piège, et je n’ai pas le cœur de les laisser mourir de faim.

Un brigand romantique, rétorquai-je avec une ironie cinglante, cependant que mon ami, s’étant subtilement glissé derrière lui, s’approchait de la statue de Brahman qui siégeait sur un autel d’ébène au milieu de fleurs et de bâtonnets d’encens.
Avant que l’autre n’eût le temps de dire ouf, il s’était emparé de l’idole de terre et l’avait brisée sur le sol en mille morceaux. À ce moment, le colosse se mit à hurler, tandis que tous les prisonniers parurent se réveiller d’un sommeil hypnotique."



(Un inédit de Sir Conan Doyle, retrouvé dans un grenier de Londres, illustré et traduit par Michel Lascault)

1 yorum:

  1. salut mon cher,
    Si Sir Conan Doyle existe, il est talentieux, lui. Conte est trop beau pour être vrai: et ingénieusement (indûment et ingenûment) fabriqué en toute (re)connaissance de cher Edgar Allen Poe ("l'Assasinat dans la rue de Morgue" pastichée à la "Chute au Maelstrome"): d'un part une allégorie d'écrivain face à ses démons, d'autre part une déconstruction énigmatique de l'allégorie de la caverne de Platon, plus: avec le cri des Sirènes des Hellens ("cri était tombeau") et "le colosse hurlant" d'Egypte (de l'Hind)... Il y a tout pourtant pour être vrai!... Véritable "passion des mots" dans une atmosphère pourtant feutrée de Londres: surtout pas stylo ("hors de question")! Ce dont il faut taire alors: "se taire en Français", me dis-je.

    YanıtlaSil